Z_Critiques (old)
Plan de la page :
- Ludovic Duhamel (2019)
- Yak Rivais (2018)
- Christian Noorbergen (2018)
- Yak Rivais (2007)
- Tania Huerta (2007)
- Denis Donikian
- Françoise Icart (1995)
- Maya de Rochefort
1°) Ludovic Duhamel (Directeur du Miroir de l’Art)
Folies douces…
Pour qui sait l’utiliser à bon escient, la fantaisie est une arme de jubilation massive, capable de tordre de rire les blindages les plus épais, de percer les murs d’enceintes d’ordinaire fermés à toute vue plus large, d’anéantir toute espèce de repli sur soi. Il faut cependant l’utiliser avec mesure car si on l’emploie à tort et à travers, son pouvoir finit par s’émousser. Pour une meilleure efficacité, il est bon de l’associer à la poésie simple du quotidien, judicieux de donner l’illusion du vraisemblable pendant quelques secondes fugaces, juste avant que d’allumer la petite étincelle de folie qui mettra le feu aux poudres de l’imagination. Milo Dias maîtrise à merveille ces techniques associant au monde réel la fantaisie d’un regard qui ne cesse de se renouveler. Et il touche juste. On s’émeut, on sourit, on s’amuse à la vision de ses sculptures iconoclastes et sans prétention autre que celle de nous offrir une petite respiration chipée à monde trop sérieux.
Article dans le Miroir de l’Art N°99 (2019)
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2°) Yak Rivais
Les poings serrés de Milo Dias.
« A tout pouvoir sa caricature et son carnaval ».(Michel Leiris)
Au commencement étaient Daumier et ses parlementaires, et les grimaciers de Messerschmitt. Au commencement, car dans l’œuvre de Milo Dias, si le déclencheur relève bien de la satire et de la dérision par le jeu d’une caricature obsessionnellement renouvelée, il convient de repérer deux temps : une première époque, ici exposée, à la recherche du réel perdu ou en danger de l’être, et une deuxième époque (non exposée) étayée par l’imaginaire et le recours aux rebuts intermédiaires, moteurs de « l’art singulier. »
« Tout homme est responsable de sa gueule », disait Jean-Paul Sartre. Les expressions des têtes de Milo Dias doivent au « hasard objectif » des surréalistes le surgissement de la vérité physique des personnages, entre douleur et raillerie, comme s’il s’agissait de les démasquer par l’émergence du masque. En 1989, Milo Dias voit son père décéder d’un cancer foudroyant : il serre les poings de colère et d’impuissance devant la souffrance éclatée. Il serre les poings avec la terre dedans, qu’il écrase, maltraite, malaxe, organise et résume en trognes d’êtres humains réduits aux mimiques. Des gens peu sympathiques, malheureux (« Les hommes meurent et ils ne sont pas heureux » assénait le Caligula d’Albert Camus), grinçants par défense, « comme une façon de poser des limites à ce qu’il y a de détestable dans la nature humaine », dit Milo Dias. Louis-Ferdinand Céline résumait autrement : « Chacun pleure à sa façon le temps qui passe ».
Ses têtes réduites comme celles des Jivaros, Milo Dias les appelait « les petites gueules d’amour », en référence sans doute au film d’après le roman d’André Beucler. Plusieurs centaines de faces de marionnettes se côtoient comme des témoins de la « Comédie humaine », en jeu de sept familles, déclinable. Un jeu de massacre à conjurer la peur. Un « dîner de têtes » à la Prévert. Une danse macabre défiant la Mort du « Septième sceau »- qu’il a d’ailleurs sculptée. Le modelage : « on peut ajouter ou retrancher à sa guise », commente Milo Dias, « avec le droit à l’erreur si précieux dans la création ».
Mais le problème posé, restait à l’évacuer. Ce que fit Milo Dias avec des « grosses têtes », des bas-reliefs « les tableaux masculins », des personnages sur pieds « les compagnons de route », et des mises en situation par des machines représentatives à ses yeux de « progrès contestables, ridicules ou inutiles ». Un moyen d’ingérer la réalité palpée matériellement avec la terre, dans des fictions convenues, identifiables, susceptibles d’apprivoiser l’indicible… « On ne fait pas briller ses lunettes avec du cirage noir », ricanait Eugène Ionesco. La caricature de Milo se teintait de métaphysique, l’humour devenait existentiel et s’obscurcissait. « Un orphelinat de têtes suit le bourreau, lorsqu’il se promène, le dimanche, sur la grand-route ».(René de Obaldia)
A partir de ce point (et une crise cardiaque en 1996), les machines attendaient Milo Dias pour tâcher de franchir le miroir. Par elles il pouvait se mettre enfin directement en quête de « racines » et au diapason de récupérations-mesures du temps des autres, sociétales ou naturelles, afin d’entrer de plain-pied dans cet inconscient stimulé qu’il cherchait : l’art singulier, le sien. « Comme quand on est enfant et qu’on regarde des taches sur un mur pour les transformer en fées ou en monstres », dit-il. « Les fleurs du papier de ta chambre », écrivait J.Supervielle… « dans la nuit, à tâtons, sans se tromper jamais élaborent l’aurore ».
Préface du catalogue « Milo Dias, Sculptures Figuratives » (2018)
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3°) Christian Noorbergen
Milo Dias, ou les mille et un jour de la création
Chamane jouissif régnant sur les pays éclairés de la grande rêverie, Milo Dias ignore parfaitement l’esprit de système. Ses trouvailles ludiques et plastiques, par grâce et magie, s’oxygènent au fil du temps et des lieux. Elles sont irrécupérables, irrévérencieuses, foldingues et décapantes. Son art est nomade, aventureux, sorcellatoire, rustique, et superbement déréalisant. Proche des cultures premières.
A un monde fabriqué, il répond par des salves d’inorganisation joyeusement transgressive, drolatique et de très festive inutilité. Au continent pesant de l’intellect occidental, il oppose, mine de rien, en toute humilité, et en tout ébahissement, ses îlots de formidable irrationalité. Ce grotesque joliment habité se moquera du sérieux jusqu’à la fin des temps.
Milo Dias, humaniste et généreux, invente une scénographie constamment déroutante et jubilatoire. L’ouverture créatrice de ses effarantes sculptures magiciennes est inouïe et sans limite. La dérision sidérante et loufoque est son arme première, et son humour d’intra-terrestre, flottant et incongru, hante toute son œuvre. Il ose bouleverser l’inertie du réel en convoquant les puissances archaïques de la terre et les énergies tendues de l’univers. Il s’abandonne sans fin aux pures et rudes libertés créatrices.
Parfois, comme en apesanteur dansée, une sculpture de lignes fragiles, arachnéenne et ténue, se fait sublime racine de ciel. Une autre, âpre et talismanique, se fait totem ironique et scabreux. Dans chacune de ces îles d’art, dans ces rituels à prodiges, l’ordre culturel est toujours balayé. Les œuvres décalées de Milo Dias bouillonnent d’étrangeté.
Mais la gravité qui sait gravir, voire le tragique ou la cruauté, ne s’éloigne guère du registre créatif étonnamment vaste de Milo Dias. Parfois des pièces un rien médiévales, frénétiques et vibrantes, puissance et allégresse mêlées, incantent et déchirent l’étendue.
A contre-courant, à contre-invention, les créations-créatures de Milo Dias, entre vie brève et folle santé, sont de savoureux pieds-de-nez à l’establishment artistique. L’art vit de ces braises chaudes.
Préface du catalogue « Milo Dias, Délire animalier » (2018)
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4°) Yak Rivais (Critique d’art)
Trois boîtes. Art officiel/ Art sur supports classiques/ Art sur supports nouveaux. Et un « raton laveur » fourre-tout appelé « art singulier ». Alibi d’une expression à partir de rien, sans « histoire » ni « culture », susceptible d’intéresser sans intermédiaire. Un art « vierge » pour des amateurs « vierges ».Milo Dias, céramiste caricaturiste, se tourne vers la nature. Il récupère des bois flottés, des racines. Il en fait des oiseaux. Pense-t-il à Chaval (« Les oiseaux sont des cons »), à César (sur patins à roulettes), à Quentin Garel et ses becs monumentaux ?
C’est, à travers la dérision légitimée, l’éphémère qu’il traque dans les épaves usées. Entre fascination pour des volumes aptes à déséquilibrer les certitudes, et tentation de donner du sens au risque d’affaiblir l’incipit, Milo Dias négocie. Mettre de l’ordre solliciterait les logiques consommées de l’art, ouvrirait une fausse porte de sortie. Il faut éviter l’anecdote. Les « drôles d’oiseaux » sont des sculptures d’abord et des machines à rêve.
Quelques-unes sont en bronze. Conscience de la fragilité des œuvres ? Volonté de mandater les potentialités de la méditation dans un matériau noble ? Par jeu de confrontation, comme on frappe deux silex, l’étincelle jaillit. « Pour faire le portrait d’un oiseau », Milo Dias applique la recette de Prévert, sans avoir besoin de cage : il suffit de fermer les yeux. « Je crois que tu auras de la peine à me reconnaître, écrivait Erik Satie à un ami : j’ai laissé pousser mes paupières ».
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5°) Denis Donikian (Écrivain et Plasticien)
Grimaçante humanité ! Milo Dias a pris le parti d’un expressionnisme réaliste contre les modes avancées de l’abstraction. Plus celle-ci nous éloigne de la figure humaine, plus le sculpteur s’obstine à mettre au jour de l’humain, rien que de l’humain. Un primitif classique.
Seule l’intéresse la manière de sculpter qui fut la plus longuement pratiquée au cours des siècles. Avec la main et avec la terre. Son art ne doit rien aux matériaux modernes ; son acte artistique est au croisement de l’homme et de la chair terrestre qui partout l’environne. Le reste est affaire d’observation…
Voir l’article sur le site de Denis Donikian
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6°) Françoise Icart (Docteur es Lettres et artiste)
Les terres de Milo Dias sont inspirées, comme si la matière prenait vie, se tordait, ricanait en des caricatures frappantes de vérité, fascinantes, drôles, poignantes ou suaves de douceur féminine…C’est une histoire, un conte drolatique raconté par des fous, où passent quelques Iphigénie éplorées et sensuelles, comme des fleurs rêvées, une histoire qui ne signifie rien que notre chère humanité.
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7°) Maia de Rochefort (Critique d’art)
Principal atout de ce sculpteur champion de la récupération de tous matériaux : un humour à toute épreuve, non dénué de tendresse sur une humanité quelque peu dérisoire. « Le triomphateur » triomphe, du haut de son super engin et jette de ses yeux clos, un regard conquérant sur son territoire fictif. Une interprétation éclairée de la nature humaine.
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8°) Tania Huerta (Critique d’art)
Grès, bois, métal, polyester, quelle que soit la matière, le sculpteur a toujours excellé à capter les expressions. Il a commencé, il y a quelques années, à travailler, à la manière d’un Daumier, les visages humains. Tics, grimaces et autres simagrées parent ses têtes qui peu à peu se retrouvent munies de jambes, puis d’accessoires divers, carrioles, charrettes et autres artefacts, que l’artiste réalise à partir de matériel de récupération.
Depuis peu, il souhaitait accompagner ces personnages par des animaux. Finalement, les animaux seuls ont fini par conquérir le devant de la scène. Et, par une transposition naturelle, de l’humain, ils gardent les physionomies tour à tour, ahuries, souriantes ou curieuses. Une large gamme d’émotions se décline dans la physionomie de ses drôles de bestioles en bois : que ce soient des oiseaux d’ailleurs, ou des poules, des ânes et des insectes.
Ils tous ont en commun une certaine humanité que l’artiste explique ainsi : « Les animaux partagent avec nous les mêmes aspirations, les mêmes jeux de séduction, les mêmes contraintes vitales, et finalement les mêmes galères… La création toute entière est faite d’une démesure dont on ne goûtera jamais assez l’ivresse ! Alors, s’il s’agit de rire de cette condition tragi-comique, pourquoi ne pas forcer le trait. La terre est une immense volière où se croisent et se toisent toute une série de drôles d’oiseaux… ».