Critiques d’Art
Ludovic Duhamel (Directeur du Miroir de l’Art)
Folies douces…
Pour qui sait l’utiliser à bon escient, la fantaisie est une arme de jubilation massive, capable de tordre de rire les blindages les plus épais, de percer les murs d’enceintes d’ordinaire fermés à toute vue plus large, d’anéantir toute espèce de repli sur soi. Il faut cependant l’utiliser avec mesure car si on l’emploie à tort et à travers, son pouvoir finit par s’émousser. Pour une meilleure efficacité, il est bon de l’associer à la poésie simple du quotidien, judicieux de donner l’illusion du vraisemblable pendant quelques secondes fugaces, juste avant que d’allumer la petite étincelle de folie qui mettra le feu aux poudres de l’imagination. Milo Dias maîtrise à merveille ces techniques associant au monde réel la fantaisie d’un regard qui ne cesse de se renouveler. Et il touche juste. On s’émeut, on sourit, on s’amuse à la vision de ses sculptures iconoclastes et sans prétention autre que celle de nous offrir une petite respiration chipée à monde trop sérieux.
Article dans le Miroir de l’Art N°99 (2019)
Yak Rivais
Les poings serrés de Milo Dias.
« A tout pouvoir sa caricature et son carnaval ».(Michel Leiris)
Au commencement étaient Daumier et ses parlementaires, et les grimaciers de Messerschmitt. Au commencement, car dans l’œuvre de Milo Dias, si le déclencheur relève bien de la satire et de la dérision par le jeu d’une caricature obsessionnellement renouvelée, il convient de repérer deux temps : une première époque, ici exposée, à la recherche du réel perdu ou en danger de l’être, et une deuxième époque (non exposée) étayée par l’imaginaire et le recours aux rebuts intermédiaires, moteurs de « l’art singulier. »
« Tout homme est responsable de sa gueule », disait Jean-Paul Sartre. Les expressions des têtes de Milo Dias doivent au « hasard objectif » des surréalistes le surgissement de la vérité physique des personnages, entre douleur et raillerie, comme s’il s’agissait de les démasquer par l’émergence du masque.
En 1989, Milo Dias voit son père décéder d’un cancer foudroyant : il serre les poings de colère et d’impuissance devant la souffrance éclatée. Il serre les poings avec la terre dedans, qu’il écrase, maltraite, malaxe, organise et résume en trognes d’êtres humains réduits aux mimiques. Des gens peu sympathiques, malheureux (« Les hommes meurent et ils ne sont pas heureux » assénait le Caligula d’Albert Camus), grinçants par défense, « comme une façon de poser des limites à ce qu’il y a de détestable dans la nature humaine », dit Milo Dias. Louis-Ferdinand Céline résumait autrement : « Chacun pleure à sa façon le temps qui passe ».
Préface du catalogue « Milo Dias, Sculptures Figuratives » (2018)
Christian Noorbergen
Milo Dias, ou les mille et un jour de la création
Chamane jouissif régnant sur les pays éclairés de la grande rêverie, Milo Dias ignore parfaitement l’esprit de système. Ses trouvailles ludiques et plastiques, par grâce et magie, s’oxygènent au fil du temps et des lieux. Elles sont irrécupérables, irrévérencieuses, foldingues et décapantes. Son art est nomade, aventureux, sorcellatoire, rustique, et superbement déréalisant. Proche des cultures premières.
A un monde fabriqué, il répond par des salves d’inorganisation joyeusement transgressive, drolatique et de très festive inutilité. Au continent pesant de l’intellect occidental, il oppose, mine de rien, en toute humilité, et en tout ébahissement, ses îlots de formidable irrationalité. Ce grotesque joliment habité se moquera du sérieux jusqu’à la fin des temps…
A contre-courant, à contre-invention, les créations-créatures de Milo Dias, entre vie brève et folle santé, sont de savoureux pieds-de-nez à l’establishment artistique. L’art vit de ces braises chaudes.
« Texte écrit pour le numéro 164 de novembre-décembre 2020 d’Artension »
Yak Rivais (Critique d’art)
Exposition à la SEMA en 2007
Milo Dias, céramiste caricaturiste, se tourne vers la nature. Il récupère des bois flottés, des racines. Il en fait des oiseaux. Pense-t-il à Chaval (« Les oiseaux sont des cons »), à César (sur patins à roulettes), à Quentin Garel et ses becs monumentaux ?
C’est, à travers la dérision légitimée, l’éphémère qu’il traque dans les épaves usées. Entre fascination pour des volumes aptes à déséquilibrer les certitudes, et tentation de donner du sens au risque d’affaiblir l’incipit, Milo Dias négocie. Mettre de l’ordre solliciterait les logiques consommées de l’art, ouvrirait une fausse porte de sortie. Il faut éviter l’anecdote. Les « drôles d’oiseaux » sont des sculptures d’abord et des machines à rêve.
Quelques-unes sont en bronze. Conscience de la fragilité des œuvres ? Volonté de mandater les potentialités de la méditation dans un matériau noble ? Par jeu de confrontation, comme on frappe deux silex, l’étincelle jaillit. « Pour faire le portrait d’un oiseau », Milo Dias applique la recette de Prévert, sans avoir besoin de cage : il suffit de fermer les yeux. « Je crois que tu auras de la peine à me reconnaître, écrivait Erik Satie à un ami : j’ai laissé pousser mes paupières ».
Denis Donikian (Écrivain et Plasticien)
Exposition Galerie Jaja en 1995
Grimaçante humanité ! Milo Dias a pris le parti d’un expressionnisme réaliste contre les modes avancées de l’abstraction. Plus celle-ci nous éloigne de la figure humaine, plus le sculpteur s’obstine à mettre au jour de l’humain, rien que de l’humain. Un primitif classique.
Seule l’intéresse la manière de sculpter qui fut la plus longuement pratiquée au cours des siècles. Avec la main et avec la terre. Son art ne doit rien aux matériaux modernes ; son acte artistique est au croisement de l’homme et de la chair terrestre qui partout l’environne. Le reste est affaire d’observation…
Voir l’article sur le site de Denis Donikian
Françoise Icart (Docteur es Lettres et artiste)
Exposition Galerie APART en 1995
Les terres de Milo Dias sont inspirées, comme si la matière prenait vie, se tordait, ricanait en des caricatures frappantes de vérité, fascinantes, drôles, poignantes ou suaves de douceur féminine…C’est une histoire, un conte drolatique raconté par des fous, où passent quelques Iphigénie éplorées et sensuelles, comme des fleurs rêvées, une histoire qui ne signifie rien que notre chère humanité.
Maia de Rochefort (Critique d’art)
Exposition Figuration Critique de 2005
Principal atout de ce sculpteur champion de la récupération de tous matériaux : un humour à toute épreuve, non dénué de tendresse sur une humanité quelque peu dérisoire. « Le triomphateur » triomphe, du haut de son super engin et jette de ses yeux clos, un regard conquérant sur son territoire fictif. Une interprétation éclairée de la nature humaine.
Tania Huerta (Critique d’art)
Métiers d’Arts 2007
Grès, bois, métal, polyester, quelle que soit la matière, le sculpteur a toujours excellé à capter les expressions. Il a commencé, il y a quelques années, à travailler, à la manière d’un Daumier, les visages humains. Tics, grimaces et autres simagrées parent ses têtes qui peu à peu se retrouvent munies de jambes, puis d’accessoires divers, carrioles, charrettes et autres artefacts, que l’artiste réalise à partir de matériel de récupération.
Depuis peu, il souhaitait accompagner ces personnages par des animaux. Finalement, les animaux seuls ont fini par conquérir le devant de la scène. Et, par une transposition naturelle, de l’humain, ils gardent les physionomies tour à tour, ahuries, souriantes ou curieuses. Une large gamme d’émotions se décline dans la physionomie de ses drôles de bestioles en bois : que ce soient des oiseaux d’ailleurs, ou des poules, des ânes et des insectes.